Dans le processus d’intégration de la Martinique et de la Guadeloupe à l’unité de la République française, le bâti des îles a particulièrement été marqué, des infrastructures aux équipements publics, de santé, d’éducation, de culture ou de sécurité. Notamment, ce sont les grandes administrations qui ont connu une ou plusieurs emprises, encore aujourd’hui la puissante illustration de la politique d’Assimilation de l’État central.
Les traces succinctes dans la colonie
Aux premiers temps de la colonisation, l’occupation française à la Martinique apparait éminemment privée. L’exploitation de l’île et de ses ressources se fait au profit de compagnies lucratives, qui en deviennent les principaux bénéficiaires ou propriétaires. La présence de l’État central, royal, lointain est somme toute limitée, où ses relais parmi les premiers habitants font office de représentation. La justice, l’éducation, parfois même d’autres prérogatives fondent de pouvoir des notables locaux, religieux, influents de tous bords, aux côtés des quelques représentants de cet État souverain.
La départementalisation, coup de fouet du patrimoine de l’État
C’est à mesure que la colonie se restructure autour de quelques représentations de pouvoir. L’autorité publique, soucieuse de rappeler son hégémonie sur une terre aux destinées troublées et aux allégeances mouvantes, s’efforce de consolider sa présence, sur des terrains et enjeux de plus en plus larges. Les premières agglomérations urbaines, à Foyal ou à Saint-Pierre, là où naissent les noyaux de microsociétés, en sont le siège privilégié.
Et si le temps intensifie la perception des pouvoirs publics, la départementalisation n’est pas sans accélérer le ballet de l’État sur l’île, une paire de siècles plus loin. S’installent, se rénovent ou se renforcent les grands corps qui maillent le territoire de la République française : services publics et équipements collectifs occupent de conséquentes emprises. Au premier rang, les administrations centrales ou leurs représentations régionalisées : à chaque entité métropolitaine un pendant antillais, au bâti aux influences uniques.
Le canevas de l’époque
Ces représentations, désormais multiples, nombreuses, éclectiques, se veulent flambeau de l’appartenance à la république centrale, lointaine, et marqueurs d’époques. Mieux, depuis le début du siècle c’est aussi un manifeste architectural unique qui prend forme sous les silhouettes successives de ces sièges administratifs : au néoclassicisme des PTT ou du palais de justice de la fin du XIXe répondent les influences de ciment et de fer forgé de la nouvelle préfecture, inaugurée sous les traits du Trianon de Versailles (1928).
L’avènement du béton-roi et de ses compositions saillantes projette dans l’espace public le modernisme de conception et ses enjeux utilitaires. Impossible de ne pas songer à l’utopique caisse de Sécurité sociale, plantée à Desclieux en 1956. Fidèlement modelée dans la vision de béton de Louis Caillat et ses pairs, elle offre des parois perméables à l’air, mais astucieusement protégées de la morsure du soleil par des persiennes de métal.
Plus loin, à partir des années 1970 et 1980, des structures d’acier et de béton bien plus légères font la part belle aux menuiseries aluminium, aux vitrages et rencontres géométriques : notamment, c’est en plein centre-ville que le siège de l’IEDOM renferme son trésor dans de considérables cubes de verres imbriqués au creux d’un socle cimenté aux angles adoucis.
Plus modernes, plus altières, plus ouvertes : les dernières générations de bâti d’État prétendent aux mélanges de matériaux et aux enjeux de sobriété énergétique : le récent palais de justice de Foyal s’offre une efficiente ventilation naturelle ; la cour d’appel avale la lumière et dilate l’espace au moyen d’immenses façades sérigraphiées ; le nouvel hôtel de police de Fort-de-France, à inaugurer prochainement, projette en cœur de ville sa vocation d’autorité et d’accueil dans la ligne architecturale d’avant-garde de l’administration sur notre île. À ne pas douter, le bâti d’État s’inscrit pour porter durablement l’identité de son époque.
CD. Crédit Photos CD, Fondation Clément Col. L.Hayot