Le balai caraïbe
Une nouvelle année commence et c’est comme une frénésie qui s’empare soudain des campagnes, dévale les mornes, et s’insinue à chaque coin de rue. Et pour bien démarrer ce premier mois, il est d’usage de récurer le passé pour faire place nette à janvier. Dépoussiérer, mettre de l’ordre dans les placards, frotter le plancher à grand coup d’eau de potasse est de rigueur. Mais le plus important est encore de balayer devant sa porte à l’aide de feuilles de lataniers. Focus sur ce balai célèbre.
Et c’est au balai coco, balé zo fait de brindilles ou mieux latannyé balé qu’incombe la tâche. Économique, écologique parfois même esthétique il est l’incontournable de tout foyer.
Et c’est chez Léandre, reconnu pour ses talents de balaitiers, que la commande est passée. Et pour ce faire il lui faudra: une branche de bois d’inde ou de bwa ti baume ou de poirier et de belles palmes de latanier caraïbe (ou Coccothrimax barbadensis) sélectionnées avec soin et séchées pendant une bonne semaine. A cela s’ajoute une corde en « mao piment » (fibre naturelle issue d’un bananier stérile) tout aussi solide que celle utilisée pour attacher les bêtes. Enfin, quelques clous feront l’affaire.
Assis sur son tabouret, Léandre se saisit de la branche d’un goyavier, pour cette fois, qu’il gratte d’un geste sûr. Puis il installe feuilles, toujours en nombre impair pour former le cœur du balai, deux de plus pour enrouler le tout. Le tour est joué. Quelques clous et la ficelle seront les conditions sine qua none pour l’achever. Achevé, l’artisan satisfait se lève et évalue son balai qu’il place face à lui : s’il tient debout grâce à sa robe de latanier c’est qu’il est bien de qualité, et est prêt à être livré.
« balyé douvan pot-aw avan vwékaz a lé zot »
« Et puis un balai, pense-t-il, c’est presque pour la vie et c’est pour cette raison qu’il doit être particulièrement soigné… Usé, on le taille et il se transforme en brosse. Lorsqu’il est totalement grignoté par le pavé, il devient le Balyé-zo qui bientôt sera remplacé par un petit nouveau.
Alors on ne peut se passer de lui. A la maison, dans les parcs et jardins, mais aussi dans les rues. Et comme sorti des vieux clichés sépia, on le retrouve entre les mains de ces hordes de pauvres gens, femmes d’origine indienne pour le plus grand nombre qui enroulées dans leurs pagnes élimés, débarrassaient les caniveaux des déchets. De ces mêmes balais qui, exposés à la manière d’une sculpture, emmêlés les uns aux autres sont vendus à qui mieux mieux aux abords des marchés « balai, balai, qui veut des balais ! »
« Balé nèf ka balyé byen »
Enfin domestiqué, le balai en latanier, en plus de faire place nette dans les cours et les allées où les feuilles se reposent peut s’avérer très utile également rendre de menus services à son propriétaire. Encore faut-il respecter quelques grandes règles.
Dans un commerce, mieux vaut balayer de l’entrée vers l’intérieur pour éviter de chasser les clients. Il est vivement recommandé de bien balayer devant la maison le matin pour enlever toute chose suspecte ou mauvaise qui aurait été déposée. Cependant il faut éviter d’utiliser son balai le 1er janvier. Pour faire déguerpir un opportun, placez le la tête vers le haut, derrière une porte avec un grain de sel. Après son départ remettre le balai dans le bon sens pour éviter que les esprits ne viennent dans la maison. Balayer et ramasser les ordures le soir empêche les rentrées d’argent. Lorsqu’un enfant tarde à marcher il est recommandé de balayer derrière lui-même s’il est à quatre pattes…
Aujourd’hui encore le balai en latanier connait un certain succès. Que ce soit pour assurer les tâches ménagères ou pour pérenniser la tradition, Il reste un bel attribut de décoration et rappelle avec un brin de nostalgie, cette époque révolue où il était la mémoire vive de toute une société.
Texte : Corinne Daunar
Photos : Corinne Daunar