L’escalier
L’escalier est une pièce d’ingénierie qui ne saute pas toujours aux yeux, qui navigue entre morceau d’art et ouvrage d’utilité. Décliné en autant de techniques qu’il existe de bâti perché, l’escalier est un incontournable de l’architecture créole, aux ambitions pourtant chaque fois différentes. En extérieur et en intérieur, ils sont ingéniosité, créativité et marque sociale.
Du dedans…
Naturellement, l’escalier est d’abord pratique : il altère les hauteurs et efface les nivellements. Dans le style créole, il trouve son utilité première quelques lieux après le début de la colonisation, dès lors que l’économie d’habitation aura commencé à enrichir colons et exploitations. Là, au temps où la résidence souligne l’aisance, s’augmente d’un étage, dégage des galeries ou s’installe sur des sites monumentaux, les marches s’intègrent à l’architecture générale de ces bâtisses coloniales. Dans un tout, comme beaucoup d’éléments de façade ou de finition de la maison, l’escalier doit encore renforcer en majesté opulence et réussite.
Il convient souvent au couloir central, lorsque la demeure en suit un modèle créole classique, ou à l’extérieur, quand l’on souhaite ouvrir les espaces et favoriser la circulation de l’air. Dans le corridor qui dessert les quelques pièces du rez-de-chaussée, il s’imprime parfois au second plan, enroulé sur lui-même et peu visible à l’arrière de grandes cloisons. Au contraire, il peut s’offrir à la vue, en rampe centrale monumentale ou adossé aux parois de bois, sur la profondeur. Dans tous les cas, évidemment, l’escalier devient en lui-même objet d’art et d’attention : sa rambarde se fend des mêmes essences précieuses que l’enfilement de paliers, et se tourne selon la dernière mode des artisans menuisiers. Certains spécimens anciens s’apprécient d’ailleurs encore, comme jusqu’à peu sur l’habitation Leyritz, où les volées de marches remontent au XVIIIe siècle.
… au-dehors
À mesure de mode et de technique, l’escalier adopte des codes plus modernes : pour en dégager la majesté et libérer les volumes, on installe des balustrades de fer finement forgé et ciselé, où la structure s’allège et le regard traverse. Sous l’influence de l’architecture métallique de fin de XIXe siècle, les intérieurs citadins et les bâtiments publics intègrent ces nouveaux codes et habillent l’ensemble des menuiseries de ces élans de fer.
En extérieur, le marche-pied se veut monumental, où il assied la stature du bâti et en dessine la base : large, à double volée -voir le château Soeurette à Trois-Rivière, en Guadeloupe-, enroulé ou évasé, il se sertit de lourdes dalles taillées et pensées pour résister au temps. Les garde-corps et balustrades s’habillent de la même pesanteur, et donnent à chaque habitation sa grandeur châtelaine. Parfois, les marches sont plus fines et discrètes, dégagées dans le soubassement maçonné de la maison et permettant l’accès complet aux galeries et vérandas qui la cintrent.
Dans l’architecture contemporaine
Dans l’architecture moderne, l’escalier retrouve sa vocation utilitaire essentielle : au moment où les avancées techniques, les ressources et les ambitions des autoconstructeurs s’augmentent, les pentes domptées s’accentuent, les niveaux de bâti se multiplient et les nécessaires connexions ramènent l’escalier au centre des attentions.
Ouverts ou fermés, bien souvent en béton encaissé, sur de longues rampes ou raccourcis en plusieurs coudes, ils enroulent les marches comme autant de défis au relief, rendant habitables des enchainements de surfaces dégagées sur tous les fronts. Ils sont encore cette marque d’ingéniosité effrontée, et redéfinissent, même confinés en intérieur, les possibles et le panorama des campagnes créoles.
Texte : Corinne Daunar