Le Chaufournier

par Maisons Créoles

Métier singulier, pratique homogène : l’art primaire de la chaufournerie est l’un des rares à se préserver, sur l’île, pour un si long souffle. Présent dès l’origine, installé sur de nombreuses habitations coloniales, le savoir- faire s’est transmis sans altérations, dans une inhabituelle survivance de technique et d’usage.

Un métier d’utilité publique

En Martinique la chaux, matière miracle, est vitale pour l’économie balbutiante de la colonie. Intrant efficace, elle est utilisée sur les premières parcelles exploitées. Pour le bâti, elle permet de créer des mortiers et enduits, majeur pour la sédentarisation de la future société. Plus loin tard, elle devient incontournable dans la fabrication du sucre, activité primordiale de ce nouveau joyau de l’outre-mer royal. Directement construits sur les habitations, les fours à chaux en accompagnent le développement initial. À partir du XVIIIe siècle, la production se concentre sur des implantations dédiées, les chauteries ou, par la suite, les, chaufourneries. Dans ce temps, le maître de la chaux passe du statut d’esclave à celui d’ouvrier spécialisé. La technique, elle, efficace, n’évolue que très peu.

L’alchimie et son creuset

Pour se figurer cette fabrication de la chaux, il faut envisager un creuset, le four, et une alchimie, la fournaise qui provoque la rencontre du bois et du calcaire. Autour de cette équation élémentaire se mobilisent le savoir-faire et l’expérience de chaque maître-chaufournier. Le four lui, procède d’un modèle quasi inaltéré : un cône renversé et maçonné, appuyé sur un talus permettant d’accéder à la partie supérieure de la structure et sa vaste ouverture, le « gueulard ». C’est par cette béance que se charge en combustible le futur foyer ardent. Souvent, on retrouve ces fournaises bord de mer, pour mieux maîtriser le risque d’embrasement et pour être à portée de l’une des matières premières de l’expérience : les résidus de coraux, les coquilles et autres conques marines, dont le calcaire se transformera en chaux vive.

Pour le chargement du four, tout le génie technicien du chaufournier se révèle : au fond de la colonne, accessible
par une petite ouverture en rez-de-terre, se dispose un treillis de bois et un espace pour l’allumage, source d’un brasier bientôt farouche. Pardessus, en strates successives, l’on installe des branchettes pour le brûlage et les fameuses conques pour la matière. Cet empilement savant de couches est subtil : maligne association des éléments, des essences, la structure des composantes à embraser. C’est ce qui déterminera le tirage de la combustion : trop lente, et les rameaux se transforment en charbon qui pollue la chaux ; excessivement rapide, et les éclats de mer n’achèvent pas leur cuisson. Durant 3 jours, le patron couve son feu, guette le temps, observe le déroulement précis de la réduction du calcaire à l’état de chaux. Au jugé, il décide du défournement : une tournée est capable de produire, suivant la contenance du cône, plusieurs centaines de kilos de matière. Étalée et abritée pour être arrosée, la chaux est ainsi « éteinte » : l’eau stoppe le processus, et finit de faire éclater les derniers résidus de coquille. La fine poudre blanche qui en résulte est prête à l’usage.

Le retour de la chaux en décoration

Le métier, en Martinique, est obstiné, et lutte pour perdurer. Il y a quelques années encore, on en retrouvait une production modeste, symbolique, entêtée, à Californie. La chaux martiniquaise a pourtant longtemps recouvert les cases créoles. Désormais importée, elle désinfecte toujours les espaces, l’eau, ou aide au marquage. Plus étonnante, elle réinvestit la décoration intérieure et extérieure, formidable alternative aux revêtements muraux modernes. Régulatrice d’humidité, de chaleur, isolant phonique, thermique, aseptisante et ignifuge, elle est une matière complète et durable. Associée à une myriade de pigments naturels, elle se glisse dans toutes les ambiances. Quant à l’art des chaufourniers, il est en passe de s’éteindre, emportant avec lui le souvenir primaire d’une pratique de l’essentiel.

Texte & photos : Corinne DAUNAR

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