Pour qui se sent l’âme d’un marin le littoral de la Martinique regorge de trésors et de témoins de son passé. En croisant le long de ces côtes, quiconque en ressentira le besoin et pourra s’appuyer sur l’immuable image de quatre phares éclatants, dont la présence protectrice oriente encore le navigateur égaré. Et ces guides, s’ils portent les voyageurs de l’eau vers des havres de paix, se font tout autant les flambeaux des aventuriers de l’histoire. Dans ce tour de la Martinique, chaque sémaphore éclaire un pan des fondements de l’île, naturel, historique ou culturel.
LA FIGURE DU PASSÉ
Pour entamer ce périple côtier, la rade de Saint-Pierre offre sans doute les eaux les plus riches d’histoire. Le phare-sémaphore de la place Bertin est de ces vestiges iconiques, que l’œil qui s’évade sait encore imaginer sur l’actuel front de mer du bourg. L’oreille curieuse se souviendra, elle du fracas des colis, tonneaux et paquets qui s’échangeaient à grand renfort de cris sur cette agora marchande. L’épiderme sensible retrouvera le frisson du phare, ce cœur battant de la ville et point de ralliement pour les navires chargés comme pour les habitants.
Pourtant, cette petite tour cylindrique d’une dizaine de mètres, et qui dominait le grand débarcadère du port, n’a pas résisté au souffle dévastateur de la Pelée, et disparait en 1902, ne laissant à la postérité que sa base cimentée et parfois une apparition éthérée, dans l’antique brouhaha ambiant d’une époque révolue.
LE CHANTRE DE LA CRÉOLITÉ
De cette plongée dans les pages du passé, l’on retrouve la surface dans la baie de Fort-de-France, ou le phare de la Pointe des Nègres porte les espérances et aspirations de tout un peuple. Sur les planches du TPM (Théâtre Populaire Martiniquais), il se faisait déjà luciole, «éclairant le ciel de nos espérances». Repère de l’identité créole dans son devenir, il en est aussi une empreinte : Il remplacerait un ancien sémaphore érigé sur le fort Saint-Louis et qui survit encore dans les archives s de la marine.
On le suppose à feu fixe, veillant sur la rade du Fort Royal. Aujourd’hui, c’est cette tour squelettique hexagonale et qui se plante à plus de 28 mètres qui éclate d’un feu unique dans la baie : classée monument historique en 2013, elle constitue l’ultime forme de ces phares de la Pointe des Nègres, qui se succèdent depuis 1855 à l’épaule des navigateurs.
LES GARDIENS D’UNE NATURE PRÉSERVÉE
Bien plus au Sud, lorsque le marin ose quitter les eaux tranquilles de la Caraïbes pour s’élancer dans l’Atlantique, il sait qu’il pourra toujours se fier au tripode écarlate de l’îlet Cabrit, protubérance herbeuse bravant la houle et constituant le point le plus méridional de la Martinique. Dominant la mer de près de 43 mètres, le phare est le véritable cerbère de ces flots perturbés lequel face au joyau des Salines, veille à la sérénité de tous, à commencer par la sienne : de la présence humaine sur l’îlet ne subsiste que la maison des gardiens, déjà reprise par une nature sauvage.
En remontant longuement sur la côte Atlantique se dresse au détour d’un lacet le phare de la Pointe de la Caravelle, une petite tourelle carrée fièrement posée au sommet de son morne de 148m. Depuis 1862, la bâtisse du haut de ses 14 mètres éclaire et oriente, de ses 3 éclats vifs : de la vapeur de pétrole initiale, elle passe au gaz en 1970, s’essaie à l’éolien entre 1982 et 1992, avant de jeter son dévolu sur l’énergie solaire à partir de 1996. Les belles âmes qui la faisaient vivre et se relayaient tous les 6 jours ont depuis bien longtemps tiré leur révérence, le dernier gardien ayant redescendu une ultime fois le sentier de la pointe en 1970, laissant là la lanterne à sa solitude, mais toujours heureuse de recevoir les visites de marcheurs facétieux.
L’AVANT-GARDISTE
Enfin, à de larges encablures de là, le navigateur curieux saura reconnaitre, après avoir bravé le canal de la Dominique, l’un de ces indéfectibles guides, le phare du Prêcheur. Sa silhouette élégante n’est pas sans rappeler ses cousins bretons, et il s’affirme du haut de ses 12 mètres, élancés à 25 mètres du niveau de la mer. Installée depuis 1927, la tour cylindrique semble renaitre de l’éruption de la Pelée de 1902, bâtie par Jean-Baptiste Delaware sur les dépôts d’une coulée de boue furieuse. Elle est le dernier de ces gardiens entre terre et mer, à la pointe de la modernité : électrifiée dès 1936, gestion automatisée à partir de 1990 et opérée par le service des Phares et Balises de Fort-de-France et salle optique rénovée en 1996.
Texte : Corinne Daunar
Photos : © Lois Hayot
Remerciements à la fondation Clément pour son crédit photo de la collection L.Hayot.