Elle peuple nos souvenirs et berce, évidemment, des pans d’antan lontan. Qui n’a pas la mémoire d’une aïeule, voguant doucement sous le porche, et plaçant le jour sous ses auspices ? Emblématique assise créole, indémodée, inmémorable de l’histoire récente des Antilles, elle est de tous les intérieurs, ouverts à tous les mondes.
Et si l’on se balançait
Les berceuses, ou rocking-chair pour leurs pendants nord-américains, sont d’abord la promesse d’un après-midi tout en douceur et en oscillations. Ce balancier si singulier et familier, est permis par ces extravagantes pièces de bois recourbées, connues des menuisiers comme les balancines, et sur la tranche desquelles d’extravagantes chorégraphies et bascules s’exécutent.
La matière
Aux Antilles, elles sont souvent taillées dans les bois précieux : les premières sont en acajou ou en poirier pays. Dans leur conception, le cannage joue également un rôle majeur, qui porte d’ailleurs un marqueur d’histoire des îles coloniales : Il est réalisé à partir du rotin, palmier grimpant, dont les tiges sont bien adaptées au tressage. Pour les dossiers et assises, on préfère l’écorce de la tige, très résistante, en prenant soin de placer les brins, semblables à de fines lamelles, plats les uns par-dessus les autres.
L’origine
On retrace la berceuse en Europe, avant son débarquement au cours du XVIIe siècle dans les toutes neuves colonies d’Amérique. Eminemment britannique elle s’acclimate autant aux chaleurs étouffantes de la Nouvelle-Orléans qu’aux sécheresses du futur Texas et frimas du Nord déjà canadien. Si les traces certaines sont déjà perdues dans le flot de l’histoire, ce sont sans doutes les échanges curieux entre la Martinique et le Canada, encouragés au par une mère patrie commune, ont pu favoriser l’arrivée sur l’île de cet outil d’autorité. Enfin installée sur l’île, la berceuse martiniquaise, à proprement parler, se caractérise, dans ses premières apparitions, par une très grande sobriété. Un dossier légèrement recourbé, un dossier de rotin tressé, l’accoudoir en volutes parfois sculptées.
Les variantes
Il semble exister une infinité de berceuses, de techniques de fabrication et, finalement, d’usages. La berceuse de brodeuse, pour ne pas gêner le métier, perd ses bras ; celle de la Da, nourrice émérite de bien des habitations coloniales de l’île, ne conserve qu’un seul accoudoir, pour faciliter l’allaitement d’une marmaille galopante. Et pour chaque modèle d’ailleurs, l’artisan aura toujours le loisir de laisser sa morsure dans la chair du bois. Une fleur de lys, un accoudoir ouvragé, une tête de fauteuil sculptée sont autant de terrains d’expression d’un savoir-faire métissé.
Objet de poésie
La berceuse habite encore les intérieurs de la Martinique comme elle enflamme la mémoire populaire des visions sucrées et rassurantes de notre histoire antillaise. A jamais ancrée, elle n’en reste pas moins au goût du dernier jour, et continue de s’exposer, en couleurs, en matières, fidèle aux origines ou volontairement revisitée, comme un fier héritage du mobilier à la créole.
Texte : Corinne Daunar – Photos : © Maisons du Monde