Dans le jardin de Lisette, la terre y était noire et sans pierre. Dans cet espace, il y avait de quoi sentir, voir, manger et même se soigner. C’était un « jardin-créole », un vrai, dans lequel il faisait bon se promener et s’inspirer du passé.
Bien avant six heures, Lisette était coiffée de son bakoua. Munie d’une bêche d’une brouette, de son coutelas et d’un râteau, elle s’en allait défricher, tourner et retourner ce petit lopin qu’elle avait hérité de sa grand-mère. L’agencement de cette parcelle était la parfaite synthèse de ces ichalis caraïbes et des jardins-nègres cultivés en des temps reculés. Historiquement éloigné des maisons, le « jardin de case » s’était désormais rapproché.
LA MAGIE DES PLANTES
L’avant de la maison comprenait des plantes ornementales et symboliques. Lisette avait judicieusement choisi des fleurs blanches pour purifier le lieu. On y remarquait de l’Atoumo, un plan de sureau, même une espèce de panacée qu’on surnommait « la neige » et dont elle ignorait le nom savant. Puis elle y piqua du rouge, couleur de feu et de sang pour s’assurer vitalité, énergie et joie. Le roseau des Indes s’alignait le long de la clôture et s’avérait un excellent protecteur contre les ondes maléfiques d’un mauvais voisin. Il y avait aussi des pieds de poinsettia que sa grand-mère appelait le six mois.
Enfin, et parce qu’elle trouvait cela du plus bel effet, elle agrémenta le tour de sa kay de jaune pour la prospérité. À l’arrière de la bâtisse poussaient toutes sortes de plantes à soigner. Et les gens venaient de loin pour jouir de sa pharmacopée. De tout partout des « simples » et herbes odoriférantes proliféraient: basilic, menthes, gros thym, absinthe dont les effluves se mêlaient à celle d’un pied du très redouté bois Mondong qui, disait-on, pouvait tuer avec un seul coup de son bâton.
UN JARDIN POTAGER
A l’arrière de la maison, un petit élevage de poules, pigeons, cochons, lapins et cabris donnaient de quoi s’occuper. De ces récoltes Lisette avait de quoi subvenir au besoin de la maisonnée et en vendant le surplus au marché, assurait les petits « à côtés ».
Déambuler dans le jardin de Lisette c’était aussi y trouver pour sa cuisine tous les ingrédients nécessaires à la préparation d’une épaisse soupe z’abitant, d’une délicieuse giraumonade, de cristophines en gratin ou d’un migan de fruit à pain. Chaque bande était semée d’espèces multiples, manioc, patate douce, igname, konkomb, tomates, gombos, tous semblaient obéir à ses mains expertes. Au fond de la propriété étaient plantés de bananiers et quelques touffes de cannes. Deux manguiers, dont les feuilles, s’emmêlaient à celle d’un prunier et un abricotier garantissaient confitures et gourmandises tout au long de l’année.
Lisette se releva, le dos et les bras endoloris mais en regardant la tâche accomplie, elle se sentait récompensée. Elle se désaltéra de l’eau d’un gros coco, ramassa ses outils et son panier bien garni puis reprit la direction de sa maison.
Texte : Corinne Daunar