Elle est aujourd’hui la pièce sociale, le point de ralliement, le lieu où l’on se retrouve, au creux de chaque foyer. Et pourtant, à l’origine, la salle à manger n’était pas la priorité des concepteurs- constructeurs : sa fonction, évolutive, secondaire, s’inscrit à mesure dans le bâti, lorsque peu à peu, l’espace se gagne et le confort devient norme.
Priorité au pratique
Dans l’habitat premier, que ce soit dans les logements de colons ou les baraquements sommaires d’esclaves, la vie intérieure s’enroule souvent autour d’une pièce unique et centrale : la salle à manger, dans cette structure fruste, se veut d’abord cet espace aux destinations multiples, selon le besoin et l’instant.
Bien qu’insaisissable, elle est donc précocement bien inscrite dans les premiers dessins des bâtisseurs, dans les premières maisons modestes. Parfois, Delawarde, fidèle chroniqueur des habitus des îles, décrit une seconde pièce, la « salle de réunion », lieu de la rencontre, de l’utile et là encore, des usages transverses. Pas tout à fait un salon, dans un volume restreint, pas non plus une cuisine, mais bien le cœur du foyer : la salle à manger.
Dans les demeures plus cossues, que le temps et les moyens voient s’agrandir à mesure, cette pièce apparait souvent quand la maison s’élève. C’est alors dans une ancienne chambre, ou au couvert d’une galerie savamment retirée du soleil qu’elle est installée. Dans cet habitat confortable, la salle à manger se carrèle, là où le parquet souffre des nombreux débris de bouche qu’occasionnent les scènes trop généreuses. Dès le XVIIIe siècle, dans ce jeu d’opulence, la salle à manger bourgeoise prend ses airs d’apparat : elle est moins le centre de la socialité que celui de l’affirmation du privilège et de l’aisance.
La salle de réception dans le logis de ville
Aussi, ce qui achève de lui donner corps, c’est son mobilier. D’abord très rudimentaire, l’ameublement s’y déploie sans façon autour d’une planche de bois grossière, montée sur tréteaux et agrémentée de chaises brutes et bigarrées : nous sommes au détour du XVIIe siècle. C’est à mesure de sédentarisation, lorsque les générations de créoles s’affirment, que les revenus se gonflent et que les artisans, modes et circulations de biens étoffent les entrepôts que le mobilier se fait remarquable.
Dans ces salles à manger qui s’enrichissent, un buffet en acajou aux pieds tournés, une table de même facture, un ensemble de sièges en vanneries et essences locales précieuses deviennent des compagnons réguliers. Et pour parfaite l’atmosphère, des dessertes, un serviteur muet et autres tablettes commencent à accueillir colifichets, bibelots et argenteries. C’est, avec le salon, le point d’orgue de l’élégance, ou les convives doivent donc pouvoir apprécier sans fard l’aisance des amphitryons.
La salle à manger moderne
Et puis, au détour du dernier siècle, se ressent l’influence, toujours, du vieux continent. Là-bas, aussi, le logement se révolutionne. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, où les planificateurs érigent la ville nouvelle et contemporaine, quand le béton se fait roi et la barre collective promet l’avènement de la modernité et du confort, les loyers modérés s’imposent également en Martinique. Là où les volumes dégagent la pièce à vivre, qui dès lors s’émancipe d’autorité des chambres à coucher et de la cuisine, la case traditionnelle, la petite maison de bourg, l’habitat populaire et circonscrit commencent à tirer une douce révérence.
Désormais, l’on s’attache à redéployer des espaces toujours plus grands, où la cuisine s’ouvre sur le salon comme sur la salle à manger. Dans ces volumes plus vastes, c’est encore l’aménagement qui définit les pratiques, où chaque aire est réservée à une activité. Finalement, dans une boucle architecturale, semble se marquer ici le retour de la pièce par l’usage, plutôt que par la la destination!
CD
Crédits photos fondation clément