Texte : Corinne Daunar
Traditionnellement, il n’est pas rare d’envisager, dans les maisons métropolitaines, des espaces tampons, zone grise de rangement, d’aération ou de protection. Mais si l’architecture créole n’y fait pas exception, leurs usages dans nos îles ne sont guère aisés : comme toujours, c’est la force du temps et l’ingéniosité des bâtisseurs locaux qui adaptent avec malice, les caves, greniers et autres mansardes aux modes d’habiter créoles.
Des espaces rares dans un habitat simple
Dans nos îles pour autant, difficile de retrouver l’utilité primaire du grenier et de la cave, qui, s’il s’observe, reste enfoui dans une profonde confidentialité. Dans l’habitat vernaculaire hérité des premiers peuplements Caraïbes et Arawak, mounias et carbets s’imposent par la simplicité et l’efficacité des techniques et matériaux. Les modes de faire, les usages, la légèreté des structures et l’esquisse de sédentarisation : caves et greniers, agrégés aux bâtis étriqués de villes d’Ancien Monde, n’y trouvent pas de grâce particulière. Longtemps, dans les jeunes colonies de Martinique ou de Guadeloupe, la priorité immédiate aura été donnée à la praticité du logis : à mesure d’installation, l’habitat créole s’établit en extérieur, et y multiplie les dépendances, logique retrouvée dans chaque strate de population rurale.
Le développement des volumes
Malgré tout, à mesure que l’habitat grandit, perlent des préoccupations nouvelles. Lorsque les maisons, notamment de maître, se rehaussent ou s’étagent, la charpente, devenue complexe, s’étire, se casse ou se plie pour moduler la forme du faîtage. Là, les usages s’affinent : le volume qui pourrait constituer le grenier sert ainsi à la ventilation pour préserver l’intérieur de la chaleur écrasée sur les toitures de tuile, où se convertit en chambrette mansardée. Plus rarement, cependant, ne semble être retenue la classique fonction de stockage, que les chroniqueurs ne rapportent guère dans leur description d’époque.
Et si le grenier peut se dessiner, il parait plus difficile d’envisager, sous la maison, une cave en bonne et due forme : le climat des îles ne goûte que peu ces renfoncements, où des immensités d’eau peuvent s’abattre dans une furie tropicale, sur des temps bien trop courts pour protéger une béance de l’inondation. Parfois, un vide sanitaire pratiqué sous le bâti l’en préserve savamment d’un excès d’humidité. Les structures, perchées sur de légers pilotis, échappent alors à la gourmandise précoce de la terre mouillée.
Les nouveaux espaces dans la construction moderne
Fait d’intérêt cependant, le développement d’une architecture moderne dans les îles, et l’arrivée des très novateurs ciments et béton armé augure d’une révolution dans les campagnes martiniquaises. Là où la case s’estompe à mesure, des volumes nouveaux aux standards métropolitains s’affirment. Surtout, les autoconstructeurs, formés aux techniques récentes du BTP, entreprennent de conquérir les mornes et de dompter les failles. De ces considérables maisons se dessinent un schéma commun et incontournable de l’habitation individuelle antillaise : la construction sur pile, pour remettre d’aplomb le plancher du premier étage posé sur un versant trop marqué, jamais envisagée auparavant. En résulte un demi-niveau inédit, aux proportions hétéroclites, très régulièrement ouvert sur sa face extérieure et rarement cloisonnée.
Ce large espace devient le lieu de la sociabilité nombreuse et de la modularité. Parfois, ces cavernes formées atteignent des dimensions dantesques, quand l’ambition du bâtisseur refuse la raison du technicien. Ces nouveaux logis constituent désormais le maillon élémentaire de l’immense peuplement rural des Antilles moderne, consacrant enfin, contre toute attente, l’usage de la « cave » sous nos latitudes.