« La frontière matérielle, celle du pointillé sur la carte, n’arrête pas le voyageur : ni policiers, ni douaniers à engueuler, mais un petit monument qu’on photographie au passage. Ce qui divise démentiellement l’île de Saint-Martin c’est une frontière épaisse de lois différentes, de tribunaux, de monnaies, d’enseignements, de travaux publics, etc. devant laquelle l’observateur non prévenu sent sa raison lui échapper » – Jean Raspail – 1973.
Saint-Martin, île bicéphale partagée entre la France et le royaume des Pays-Bas depuis un peu moins de quatre cents ans, est certainement l’un des plus singuliers territoires français d’outre-mer. L’île a connu, ces vingt dernières années, une spectaculaire montée de fréquentation et ses galons de paradis caribéen dans l’imaginaire du vacancier. Ses 37 plages l’y aident, suppléées par des grands travaux d’aménagement et de vastes opérations immobilières, surtout situés côté hollandais, destinés à absorber l’afflux de touristes séduits par cette petite île à l’identité mosaïque. Ce qui la rend unique, c’est l’apparente aisance avec laquelle elle mélange les genres : volontarisme et énergie nord-américaine de la partie néerlandaise avec ses immenses resorts, ses paquebots géants, ses boutiques duty free à tous les coins de rues qui contrastent avec l’atmosphère plus « Vieille Europe » de la partie française, avec ses restaurants sélects, sa relative indolence, le tout sur fond de cordialité et de cool caribéen…
Quant à Saint-Barth, confetti caraïbe de 24 km²… Simple bouton de manchette pour costume de milliardaire ? Eh bien non, cette donnée n’est qu’un des calques qui composent sa topographie. Il y a vraiment un art de vivre Saint-Barth, fait de luxe discret, de calme et de sécurité. Il y a une simplicité aussi, on se salue, se croise nécessairement, l’auto-stop est courant, tout le monde circule en petit 4×4, en voiture électrique… Il y a la beauté étonnamment sauvage d’une nature soumise à de grands vents, à un climat qui érode et dont l’âpreté renvoie à la population originelle de l’île, ces colons bretons ou normands et leurs esclaves, qui n’ont pas connu la prospérité des grandes plantations de canne à sucre, qui se sont accrochés à ce caillou impropre à la culture, pour se retrouver sous l’attention prédatrice des puissants de ce monde, et des promoteurs, ce qui n’a pas semblé trop les impressionner. Ici, les permis de construire se distillent au compte-gouttes, les maisons ne dépassent pas la hauteur d’un palmier, elles doivent respecter de strictes normes architecturales. L’île a bataillé pour conserver son – fragile – équilibre, et elle continue de marquer des points dans le cœur de qui ne se déplace pas en jet mais n’en aime pas moins les lieux qui ont du caractère…
Texte & Photo : © Le Petit Futé
216 pages – Collection Country-Guides – Prix public : 14,95 Euros.