C’est un conte colonial raconté par des cochons créoles sauvages. Celui de cet habitat sur lequel le souffle s’abat, jusqu’à buter contre celui qui ne ploie pas. Paille, bois et brique ! L’architecture créole, dans sa construction à travers siècle, s’est emparée de cet élément fondamental, premier : la cloison.
Le mur, élément fondamental
La cloison, en construction universelle, relit d’innombrables fonctions : dissimulation, pour garantir l’intimité du foyer et se dérober aux yeux curieux ; préserver du froid, de l’ardeur du temps ou des tourments ; organiser l’espace. Aussi aux Antilles les occupants- bâtisseurs s’attèlent-ils, dès les premières heures de Colonisation, à en optimiser la conception. Et c’est comme souvent dans l’habitat populaire que l’on retrouve les variantes les plus malignes et originales. Tout débute avec les cloisons végétales : son archétype, le bois ti-baume, tressé, d’une ingéniosité rare, s’adapte parfaitement aux conditions de vent, de pluie ou d’écrasante chaleur. Les cases en gaulette, elles, adoptent régulièrement des parois mâtinées de torchis séché, parfois blanchi à la chaux et parfaitement durable sans excès d’humidité. Le bois lui s’utilise plus massivement à partir du XIXe. Plus coûteuses, ces nouvelles cloisons font également évoluer les pratiques, où la réalisation de la maison, désormais déposée sur un solin maçonné, fait moins appel au coup d’main mais privilégie le savoir-faire d’artisans dédiés. Les bois pays eux sont nombreux ; dans un inventaire botanique très riche, les essences ne manquent pas pour agrémenter, en résistance, couleur ou senteur le futur logis, de l’acajou, au laurier rose ou bois de rivière. La tradition maçonnée enfin, répond à une double exigence, s’installer dans la durée et braver les aléas. Avec l’essor de l’économie sucrière, les planteurs aisés adoptent le dur : l’habitation s’organise dès lors autour d’un véritable coeur maçonné. Ce tronc de pierre, pensé pour affronter temps, structure la maison et établit parfois un étage, plus régulièrement des galeries adjacentes.
Les blocs eux, sont assemblés à l’aide d’un mortier local de savante composition, où se mêlent cendre de bagasse, chaux éteinte et mélasse. Dans cette tradition rocailleuse, la brique s’impose dans des cas ponctuels, d’abord importée, et bientôt produite dans les poteries de la Martinique et de la Guadeloupe.
L’avènement du roi béton
Dans les bourgs qui se sont structurés, la façade des édifices devient un outil social, notamment au XIXe où l’originalité des balcons, des fers forgés, la beauté des bardeaux ou des essentes témoignent aussi du bon goût et des moyens du propriétaire. Le XXe vit la révolution des matériaux, où la mutation des techniques est sans commune mesure avec les progrès précédents : s’invitent sur les chantiers le roi béton et ses formidables propriétés, immenses pour la résistance des nouvelles réalisations. L’architecture moderniste s’empare du panorama urbain et en consacre l’usage pour longtemps. Dans l’habitat spontané, plus évolutif, la cloison dépend des revenus du moment et de la persistance de la présence. Au fil du siècle, les plaques de fibrociment, les parpaings, la brique industrielle réinventent le rapport à la construction et remplacent les feuilles de tôle ou autres bardeaux de bois. Ces nouveaux matériaux, ils sont surtout des marqueurs uniques, formidables tremplins vers le logement digne et l’affirmation sociale.
Le logis moderne, ouvert au monde
Aujourd’hui, la cloison reste au centre des questionnements de construction : l’on consacre le retour en grâce des matériaux légers et du bâti sobre ou écoresponsable. Dans l’éternelle lutte entre la fureur du vent et les tremblements du sol, les bois flexibles et les charpentes mieux arrimées semblent réconcilier les techniques. Dans un nouvel usage, moins de l’habitat que pour l’expression artistique, le mur est réadopté comme canevas à taille de ville : les façades aveugles se rehaussent de mises en forme uniques et d’odes à l’urbain, à la nature ou à la culture. Plus malicieuses, les devantures traditionnelles reconstituées dans certains bourgs estompent cette frontière.
Texte : Corinne Daunar – Crédit Photo Fondation Clément collection L.Hayot/CD