Jusqu’à la fin des années 60, les constructions, plus précisément les habitations de la Côte-sous-le-Vent s’appuyaient sur les techniques traditionnelles de mise en oeuvre avec le bois comme matériau. On retrouvait ainsi des toitures, des pignons, des murs recouverts d’essentes.
Après le cyclone Hugo en 1989, le béton, jugé plus robuste et plus économique s’est répandu dans l’archipel au détriment du bois provoquant la disparition de certains métiers d’autrefois à l’image de celui de tailleur d’essentes. Mais la prise de conscience de l’impact de notre mode de vie sur l’environnement et l’appropriation de leur patrimoine par les guadeloupéens ont pour effet de relancer les constructions écologiques qui connaissent un réel engouement. Le métier de tailleur d’essentes figure parmi ces professions oubliées qui, il y a encore quatre décennies, permettait à un artisan de vivre. Aujourd’hui le dernier tailleur d’essentes est à la retraite mais il a choisi de former bénévolement ses successeurs pour pérenniser son art. Il transmet ainsi avec passion ses techniques de travail à deux jeunes dont son petit-fils, qui, toute sa jeunesse, a observé avec intérêt les gestes de ce grand-père dévoué à son art. Si ses jeunes disciples sont en capacité de fabriquer des essentes, il faudra toutefois patienter jusqu’à l’année 2020 avant qu’ils ne soient en mesure de prendre la relève de Benjamin Kamoise et de pouvoir faire appel à leur service.
Dans la famille Kamoise, ce savoir- faire s’est transmis de père en fils mais avec la passion en plus. Benjamin Kamoise utilise la même technique exigeante que celle de son grand-père. Les planes, outils utilisés pour la taille et dotés d’une lame d’acier et d’un manche à chaque extrémité, proviennent de son grand-père maternel. Natif des hauteurs d’Acomat dans la commune de Pointe Noire, capitale du bois, Benjamin Kamoise est le dernier tailleur d’essentes de Guadeloupe. Il représente à l’heure actuelle le gardien de cette tradition ancestrale.
Il n’est pas rare de le voir lors d’évènements portés par la Ville de Pointe-Noire faire des démonstrations de son art devant un public ébahi par une telle dextérité.
Un travail de A à Z
Benjamin Kamoise s’attache à sélectionner les arbres qu’il va utiliser avant de les tronçonner lui-même comme lui a appris son propre père depuis son plus jeune âge. Une grande variété de bois peut être utilisée pour fabriquer les essentes. Notre artisan exigeant porte son choix sur des essences à la fois résistantes et tendres telles que le tamarin ou corossol montagne, l’acajou rouge, le poirier … La contrainte consiste à ne pas avoir à faire à un tronc qui ne soit pas droit, qui se déforme au séchage ou encore porteur de noeuds. Après avoir ramené les billots jusqu’à son atelier, vient le travail de découpe des planches au coutelas afin d’obtenir des planchettes. Chaque planche est placée sur un outil qui l’immobilise appelé cheval. L’artisan, assis, jambes tendues, utilise la plane par un mouvement d’avant en arrière pour enlever chaque copeau afin d’obtenir l’essente à la taille et à la forme parfaite en prenant soin de respecter le sens du bois.
Le saviez-vous ?
Ces petites planches de bois, taillées comme des ardoises, sont utilisées pour la couverture d’un toit ou pour protéger une façade de la pluie. Les essentes ont été importées par les Normands à la fin du XVIIe siècle sur l’île. Le procédé a été appris sur place aux esclaves qui se sont ensuite transmis ce savoir-faire au fil des ans de générations en générations. Les essentes protègent du froid, de la chaleur et sont imperméables sous réserve de respecter la technique de pose car les planchettes doivent se chevaucher avant d’être clouées. Au-delà de l’esthétique d’une telle réalisation, de son aspect écologique, l’essente se révèle un matériau particulièrement pérenne avec une durée de vie d’environ 100 ans.
Les services du réseau Canopé ont réalisé un CD pédagogique consacré au métier de tailleur d’essentes en collaboration avec Benjamin Kamoise. Ce CD est disponible à l’Atelier Canopé – rue de la Documentation Lot. Petit-Acajou – Petit-Pérou – 97139 Les Abymes. Téléphone : 0590 82 48 35 https://www. re s e a u – c a n o p e . f r / academie-de-la-guadeloupe/atelier-canope- 971-les-abymes.html/
Texte et photos © Christine Morel