Des animaux, des hommes et des merveilles, le Bestiaire du MADOI
Le MADOI propose jusqu’à janvier prochain un focus sur les animaux réels ou fantastiques qui peuplent ses riches collections. L’occasion de nous pencher sur ce que ce bestiaire à nous apprendre sur notre histoire et notre patrimoine.
C’est à croire que le Musée des Arts Décoratifs de l’Océan Indien veuille nous émerveiller : après nous avoir enchantés en nous ouvrant les portes d’un Orient légendaire presque insoupçonnable sur nos terres australes, le Domaine de Maison Rouge à Saint-Louis a décidé de mettre en avant son « Bestiaire rempli d’animaux « fabuleux, symboliques et sacrés ».
Vous y croiserez des oiseaux, des mammifères, des vertébrés aquatiques mais également des créatures fantastiques ou mythologiques bien en vue sur les nombreux objets d’art, la porcelaine, les textiles et le mobilier que compte le musée.
Le parcours est articulé autour de quatre séquences : la symbolique du bestiaire chinois, les animaux du panthéon hindou, l’animal matière et le syncrétisme entre orient et occident.
Des clés d’entrée qui valent aussi comme sésames pour mieux appréhender certains aspects de la culture réunionnaise : les apports de la Chine et de l’Inde sans oublier le métissage des cultures déjà à l’œuvre aux débuts de Bourbon qui se voulait l’une des étapes sur les routes de commerce établies dans l’océan Indien au XVIème siècle par les Portugais.
Commençons par les deux contrées qui sont par ailleurs très présentes dans les collections du MADOI. Les bestiaires chinois et indien dont on peut admirer la diversité relève de la mythologie et du divin, s’accordant parfois des incursions remarquées dans ce que la vie a de plus commun comme la manière de s’habiller.
L’une des pièces de l’exposition fait voisiner, au milieu d’oiseaux, deux figures majestueuses, le dragon et le phénix : un mug en argent dont l’anse est matérialisée par le corps stylisé et sinueux du dragon, symbole du pouvoir, de la sagesse et de la chance. Le phénix, en relief sur le récipient, est symboliquement un condensé du cosmos : sa tête représenterait le ciel, ses yeux le soleil, ses ailes le vent, ses pattes la terre, son dos la lune et sa queue les planètes ; tandis qu’il est crédité de valeurs hautement morales comme la justice et la bienveillance.
Le dragon réapparaît dans toute sa splendeur également sur les vêtements des lettrés, qui pouvaient faire éclater les couleurs de l’animal sur leurs tuniques de soie, façon de montrer leur prestige social, jusqu’à un certain point car rappelons au passage que c’est le seul privilège de l’empereur de porter des figures de dragon à cinq griffes, emblème de l’animal le plus puissant.
Le bestiaire indien du MADOI est dominé par les animaux qui animent le panthéon hindou. Il s’agit souvent des véhicules des divinités qui les accompagnent encore aujourd’hui quand elles quittent leurs temples dédiés pour partir en procession à l’occasion du Cavadee par exemple. La vache sacrée, déesse elle-même, peut aussi être considérée comme la monture (vahana) du seigneur Shiva. L’animal est sculpté dans du bois exotique aux nuances élégantes, à l’image du palissandre, par des artisans qui ont le souci du détail, quel que soit le support utilisé. En témoigne cette pièce marquante de l’exposition, une figurine représentant Krishna enfant et travaillée dans du papier mâché ; on y reconnaît le serpent à multiple têtes, Kalia, contre qui Krishna remporta une grande victoire et qui semble ici protéger le jeune être surnaturel l’abritant de son capuchon.
L’animal enfin se révèle un excellent miroir de la façon dont les cultures se sont hybridées sur notre territoire, créolisé avant l’heure pourrait-on dire, avec cette synthèse originale qui s’est opérée entre les répertoires iconographiques européens et asiatiques, voire africains. Pour vous en rendre compte, admirez la pendule en bronze doré et argent, au style français affirmé et sur laquelle se pavane un oiseau exotique par excellence, l’autruche.
Une exposition aux multiples échos
Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Huguette Dorilas, la responsable d’exploitation/ Pôle administratif et scientifique, notre guide d’un jour qui nous offre l’occasion d’en apprendre davantage sur l’événement.
« La commissaire d’exposition (et également directrice du MADOI) Anne-Laure Garaios a souhaité explorer à la fois la manière dont les animaux, réels ou mythologiques apparaissent dans les collections du Musée mais aussi le rapport que nous pouvons entretenir de manière artistique et culturelle avec eux, ce qu’ils éveillent et suscitent en nous ; et ce, quel que soit le support privilégié : textile, mobilier, porcelaine… »
En passant devant une vitrine qui abrite tout une panoplie destinée à la coiffure, nous en avons une belle illustration : s’y côtoient des matières aussi diverses que l’écaille de tortue et des plumes de martin-pêcheur.
Un mélange qui conduit au métissage culturel avant l’heure, au syncrétisme, autre axe de lecture de l’exposition : « le lien entre l’Orient et l’Occident, né des voyages et rencontres des peuples, engendre des objets singuliers, à l’image de la collection de chaises ornées de figures de Garuda ». L’être mythologique hindou à corps humain, avec des ailes et la tête d’un oiseau : il a été détourné par les Européens de son rôle religieux pour devenir un élément de décoration.
« Ce qui me plaît aussi avec cette exposition, c’est tout ce qui entoure les œuvres, pas seulement des pièces de musée, mais des objets qui ont un vécu : la superbe robe dragon a été portée et on devine le savoir-faire mis en œuvre par les artisans pour la créer… »
L’exposition est à découvrir jusqu’au 31 janvier 2023, du mardi au dimanche : de 9h à 17h30 (la billetterie ferme à 17h). Des visites guidées sont possibles sur demande, y compris le samedi et le dimanche. Réservation conseillée pour les groupes de plus de 10 personnes.
Texte et photos : Corine Tellier / Carpe Diem