C’est un pavillon humble, une petite bâtisse engoncée dans un quartier moderne. Léchée par les fleurs élégantes et les massifs ensauvagés, elle renferme un morceau d’intime, le jardin discret d’une existence vouée à un peuple entier. Découvrez la maison d’Aimé Césaire, pan pudique et insolite de la vie de l’homme de foule, de mots et de luttes.
Au coeur de l’intime
Au bout d’une courte allée maçonnée, c’est donc un univers débordant qui vient décrypter, sous un champ nouveau, le cocon de la pensée rare anticolonialiste. Pénétrer l’intérieur d’un homme de lettres, c’est oser une conversation confidentielle, un regard curieux, plonger dans un monde d’habitudes et d’heures ritualisées. S’emparer de la maison d’Aimé Césaire, c’est recomposer, la mosaïque d’une vie, tenter de capturer la genèse de l’actif poétique, recréer l’essence de la conviction politique. Toujours est-il que l’esprit de la petite demeure, c’est celui de l’anecdote tendre, pour qui investit ici, en un battement d’oeil, les innombrables traces d’existence. La vie semble s’enlever, sur le long fil d’une destinée d’homme. Au crépuscule, la radio pourrait encore résonner, le café emplir de son odeur, la chambre s’enrouler du cliquetis des montres à gousset. Au creux d’une armoire entrouverte, sous les costumes pastel soigneusement suspendus, ce sont deux jeux de souliers à bout rond « parce que deux paires de chaussures suffisent à un seul homme » qui s’éclipsent. La paroi devant le petit bureau s’expose en une mosaïque de fractions de vie, là une photo, ici un poème griffonné, plus loin une prescription. Dans les habitudes de l’intime, il y a aussi cette vieille étoffe usée, qu’Aimé Césaire considérait comme son « pantalon nèg-marron », ceint d’une cordelette et qui l’accompagnait dans ses excursions du jardin. De la passion unique du poète pour la botanique, la maison vibre encore fortement : des gravures aux murs, des encyclopédies reconverties en herbier magique, riche des trouvailles d’une île entière.
Une architecture créole
Cet écrin de simplicité, c’est un petit pavillon créole, acquis par le couple Césaire au tournant des années 1960’ sur les hauts de Redoute, à Foyal. De plain pied, elle reprend le dessin traditionnel de l’habitat martiniquais, lovée au creux d’une élégante véranda. Une étroite dépendance, la cuisine, se dresse à l’arrière de la bâtisse. Plus loin, un grand jardin se jette dans une ravine, peuplé d’essences locales. Quelques salles distribuées abritent la bibliothèque personnelle du poète, gonflée d’une multitude vivante, celle des ouvrages, dédicacés, annotés, dévorés. Le mobilier, qui art déco, qui conformiste, échappe aussi aux affres du temps, revendique une simplicité éthérée. Lit en bois tourné, salon en rotin, un vieux poste de télévision que l’on écoute plus qu’on ne le regarde, le minuscule banc du café frappé de l’après-midi… Tout reconstitue tendrement, pour le visiteur, la journée hors-le-monde de Césaire l’homme discret, jusqu’au petit étriqué aménagé pour graver, en milieu de nuit, une idée fulgurante.
La maison manifeste
Et désormais, cette villa créole se veut une maison manifeste. Elle est, sous l’impulsion résolue de la Fondation Aimé Césaire, le terreau d’une nouvelle scène intellectuelle et muséographique. À travers l’intime du poète, c’est une identité martiniquaise qui viendra, à mesure s’y exalter. Propriété de la ville de Fort-de-France, l’endroit se repense, entame une mue de plusieurs mois pour offrir, à terme, le coeur préservé de la vie de Césaire, tant personnelle que publique et politique. Les projets, multiples, y tendent : retracer ses engagements, reconstruire son oeuvre, magnifier, plus avant, les savoir-faire locaux et les pratiques. Des cours de botanique, jardins oniriques, un espace dédié à l’art pictural, une petite librairie, un théâtre de verdure viendront exalter, dans ce cocon confidentiel, la joie du collectif.
Texte : Corinne Daunar