La Martinique, terre de haute lutte politique, s’est construite, aussi loin que son histoire moderne remonte, dans les soubresauts puissants qui ont su traverser sa société. Luttes abolitionnistes, révoltes esclaves, grandes grèves et secousses sociales, l’île inscrit le militantisme dans ses mornes et dans son bâti. Les lieux de pouvoir se décrivent ainsi autant dans le patrimoine étatique qu’au détour des hôtels de ville ou emprises du collectif.
Le pouvoir colonial
Il faut dire que pour faire société dans la course coloniale vers le Nouveau Monde, l’on doit recourir à la pierre et au fer. Les premières traces d’un bâti politisé sont donc celles de la puissance royale et de ses forces armées. C’est à Saint-Pierre que se dresse le premier fortin de l’île, instillateur d’une sourde volonté de structuration et d’administration. En 1679, Colbert désigne dans les îles d’Amérique des intendants en charge de la justice et des finances, aux côtés du gouverneur militaire. Afin d’animer la vie économique du port et de ses quartiers marchands, l’Hôtel de l’intendance s’installe sur la Grand-Rue ; longtemps, il représente l’État central, devenu, après la Révolution résidence « secondaire » du Gouverneur. Il faut dire qu’à partir de 1692, de favoriser au Fort-Royal le rayonnement symbolique du pouvoir régalien, qui diffuse désormais depuis la baie des Flamands. Depuis Blénac (1779), les gouverneurs y séjournent volontiers : ils se logent au fort Saint-Louis, en l’absence d’emprise dédiée sur ces marais encore peu salubres.
Finalement, à partir du XVIIIe, ils y prennent une résidence complète, au cœur l’hôtel du vieux gouvernement. La grande bâtisse coloniale, en bois et fer à cheval, symbolise longtemps, au centre de la ville, le siège de l’État. Il faut attendre 1925-1928 pour le voir remplacé par un nouveau palais de préfecture, inspiré du Trianon de Versailles et résolument moderne et faisant la part belle au futur béton-roi.
La Martinique électorale
Au tournant du XIXe et de l’abolition de l’esclavage, l’assimilation s’intensifie, les colonies sont tentées, ou poussées à rejoindre de plus en plus structurellement l’ensemble républicain : la transformation des paroisses en communes en 1837 est une révolution. La mise en place des nouvelles mairies suppose la construction ou l’acquisition de bâtiments municipaux dignes d’accueillir les conseils. Un demi-siècle plus loin, la Martinique s’est enveloppée des volumes poétiques et incontournables de la conception moderniste bateau. La rencontre est grandiose, et de nombreuses mairies se patinent, dès les années 1930, de ce renouveau architectural unique, qui exalte le béton-maître.
L’ancien hôtel de ville du Lamentin édifié en 1934 par le génial Louis Caillat en reprend ainsi fidèlement les codes, enorgueilli d’un monumental escalier en granit et fer forgé. Parfois, le bâti est d’autant plus symbolique qu’il consacre aussi l’existence du territoire. Pour Saint-Pierre, incorporée à la commune du Carbet entre 1910 et 1923, se doter d’une mairie moderne et innovante, c’est réaffirmer sa légitimité et son autonomie. Également signée Caillat, construit en béton ajouré, enrichi d’un mobilier Art-Déco (1934), la municipalité devient un manifeste.
L’île militante
Elle est un autre lieu de pouvoir bouillonnement et de combat : la maison des Syndicats, exceptionnel ouvrage en architecture béton. Écrin de collectivité et d’avant-garde, ses volumes sont signés par Marcel Salasc, l’un des maîtres du modernisme sur l’île. Inaugurée en 1948, elle symbolique la lutte et le groupe dans un plan radial, où les espaces, sans parois planes, se dessinent autour d’un rare patio circulaire.
Texte : Corinne Daunar – Photos : CD et culture.gouv.fr