L’habitat antillais est aussi résilient qu’il est diversifié, stratifié de pratiques, riche d’influences. Et de la vaste maison de maître à la petite case de bourg, diffuse une intelligence collective joyeuse et débrouillarde. Elle mêle les nécessités du moment, les ressources à disposition, saupoudrées d’esthétisme. Les planchers et les sols en sont la belle illustration, témoins précis de l’évolution des habitudes et des moeurs du vivre antillais.
Une évolution tout en histoire
Et dans cette enquête architecturale, ce sont les premiers observateurs qui mettent sur la trace d’une pratique fondée sur la nécessité. Le Père Labat décrit déjà, dans ses Voyages aux Isles d’Amérique, la terre battue des carbets Caraïbes qui constitue, dans l’écriture, un « plancher fort net et uni ». La technique, primaire mais efficace, garde trace dans les cases esclaves et les premières maisons de colons, sommaires. Assez rapidement cependant, les demeures plus cossues et habitations d’officiers, précise le Père Du Tertre, se parent de carreaux d’argile cuite, tandis que les chroniques évoquent ponctuellement l’importation de mosaïques, à destination des intérieurs bientôt bourgeois. Sur différents domaines, ce sont de grandes pierres plates ou maçonnées qui habillent les pièces et couvrent la terre nue.
Autre technique : c’est le lattage qui trouve aussi sa place, notamment dans les étages des bâtisses rehaussées. Dès 1693, c’est toujours le Père Labat qui décrit le bois de rivière dont les ais sont désormais recommandés pour tous
les usages de la construction. Le bois doux, de rose ou de montagne, le cyprès, l’acajou complètent savamment les matériaux de l’époque. Le moment est à l’efficacité : l’on travaille la ressource présente sur place, pour pallier le besoin le plus urgent. Il arrive ainsi que le plancher, dans les habitations productives, dissimule de vastes espaces de stockages pour le café, dans de grands caissons de séchages. De façon générale, la postérité et les documents de propriété ne retiennent que rarement la mention des
sols, espace le moins préoccupant. La terre battue semble être la norme, parfois remplacée par des pavés.
À partir du XVIII siècle, les expérimentations
Au détour du 19e siècle, les techniques se développent, se perfectionnent et se rencontrent. Les nécessités restent : celle de se protéger d’une moiteur mordante, capable de perforer les chapes de bois et de briser les structures. L’autre fléau, c’est la chaleur, cette amante éternelle des latitudes tropicales. Couplée à l’ombrage des terrasses complètes et la circulation savante des alizés à l’intérieur du logis, la fraicheur conservée par des revêtements de brique participe de cette douceur de vivre à la créole, qui transpire tranquillement de tous les domaines coloniaux Des solages maçonnés prennent en compte les terrains humides pour surélever les bardeaux de bois et limiter l’exposition.
Avec le temps, l’esthétique devient une préoccupation grandissante : en Martinique à l’habitation Clément, les carreaux d’argile cuite sont remplacés, au tournant du XXe siècle, par de la mosaïque bigarrée. L’agencement des sols s’adapte, lui, à l’usage, de la modeste maison de bourgs aux cases rurales installées à travers champs. En Guadeloupe, les surfaces de ces petites maisons sont simples, puisque la structure pouvait être entièrement déplacée en cas d’extension des terres travaillées. À Haïti
ou en Martinique, les planchers sont mieux apprêtés, car moins concernés par ces migrations.
Le XXe siècle, temps de toutes les démocratisations
Vient enfin le dernier temps : celui de la modernité et des intérieurs repensés, que permettent des révolutions de la construction. Le béton qui se répand dès les années 1930 impose de couler des dalles nettes, prêtes à accueillir carrelage et faïence. Typiques des foyers des décennies de milieu de XIXe siècle, les petits carreaux colorés de nos enfances envahissent les sols, murets, cuisines, cours et chambres à coucher.
Le linoléum, le stratifié investissent eux, les intérieurs en bois. Le matériau se fait plus accessible, moderne et surtout pratique ! Dans les faubourgs des Abymes, sur les mornes où s’enroulent des myriades de maisons auto-construites et d’espoirs de mieux. La moiteur, la terre qui se dérobe et les rebuts dressent d’hétéroclites horizons. À l’intérieur, dans une pièce parfois unique, l’on déroule, sur un plancher de bois, ces fameux trésors de stratifié, qui protègent de l’humidité du sol ou de la mangrove. Les motifs, les couleurs, explosent en géométries et silhouettes végétales. Attention donc, où vous mettez les pieds !
Texte et photos : © Corinne Daunar