Le lit à colonne, c’est cette imposante et confortable estrade de la chambre à coucher coloniale des îles de la Caraïbe. Furieusement chic et incontournable, il s’est imposé dès le début de la colonisation comme le maître meuble de cette pièce de l’intime de nombre de logis de propriétaires, repoussant aux parois plus ou moins exiguës les consoles, coffres et meubles de chevet.
Début XVIIe, il gagne déjà les maisonnées. Le dormeur avisé ne sera jamais trompé par l’origine ou la gamme de son sommier ajouré. Parmi l’ampleur des adaptations, des variantes et des styles tout en rencontres et en échanges, trois familles de colonnes animent les repos de la colonie. Les colonnettes victoriennes rendent très reconnaissables ce style anglo-saxon : elles s’épanouissent en finesses et volutes, s’achèvent en quenouilles délicates et travaillées. Les dimensions initiales sont strictes, la mesure en pouce laissant soupçonner le voyage des lits, de la Nouvelle-Angleterre vers la Dominique toute proche.
La version la plus emblématique de ces couchages, reste le Zizim Tollé, le lit à colonne créole par excellence. D’inspiration Louis XV, bien que rarement d’origine, il se caractérise par son dosseret très haut, pour figurer la tête de lit et s’impose en milliers de modèles dans la ferveur du XIXe siècle. Pensées à l’origine pour le baldaquin, ces colonnettes supportent sous ces latitudes d’alizées des moustiquaires légères. Ils sont moins marqués par le style des intérieurs des métropoles d’alors que par l’inspiration, plus ou moins heureuse, du tourneur. En fin de période, les colonnes à boule du fameux lit « Corsaire », d’inspiration Empire, sont moins chargées. La couche se perche volontiers de hauts pieds pour s’affranchir des nuisibles nocturnes. Ses colonnes géométriques s’achèvent volontiers en boule. L’oeil expert les reconnaitra, quant à lui, à leurs colonnes asymétriques.
Les subtilités
Mille fois sur le métier, tournez et retournez. Le lit à colonne donne à voir l’élégance et le talent de son concepteur : les colonnettes doivent briller d’ingéniosité dans la réalisation des motifs. Généralement réalisées sur un tour d’ébénistes, elles s’entortillent de torsades, de fuseaux, d’urnes ou stries cardinales. Le travail de ces colonnes, massives ou délicates, particulièrement ouvragées ou volontairement épurées, exprime toute l’éloquence des artisans du bois. C’est l’occasion d’exprimer un savoir-faire hors-norme. On sculpte, on grave, on insère aux panneaux les motifs du foisonnement végétal de l’île : fruits locaux, flore, feuillages marqués ou grignotés intègrent subtilement les créations.
Quelle origine ?
Comme souvent dans la colonie, la mode des grandes maisons européennes rencontre, à l’arrivée sur les côtes des îles sous le vent, la réalité des matériaux à disposition, les compétences, les ressources et les modes de vie déjà métissés et adaptés au local. Le savoir-faire des esclaves artisans et petits affranchis permet de reproduire plus ou moins fidèlement, à l’inspiration, ce mobilier d’occident. L’influence culturelle anglaise elle, ne cesse jamais de souffler en Martinique et en Guadeloupe, dont les acteurs économiques ou politiques conversent et échangent plus ou moins ouvertement avec ces soeurs ennemies.