S’il est un bâti que la Martinique ne peut renier, c’est bien ses centaines de moulins, dont elle s’est hérissée dès les prémisses de son histoire moderne. À vent, à eau ou à bête, ils constituent des perles d’ingéniosité et d’adaptation. L’un des derniers nés de cette aventure, le moulin hydroélectrique du Gros-Morne qui du haut de ses 90 ans se veut être la révolution de tous ces prédécesseurs.
Le moulin, producteur colonial
Le principe du moulin est vieux comme le monde, ses prémices l’emmenant aux confins de l’histoire et au chevet des plus anciennes civilisations. Sa logique, elle, est simple : fournir, pour un usage donné, une énergie régulière et contrôlée. De ce besoin primaire découlent des merveilles d’ingénierie, que chaque région du globe voit se déployer avec originalité.
À la Martinique, ils sont installés en creux de chaque habitation sucrerie, rouage essentiel au broyage des tiges et à l’extraction du jus de canne. Le choix du médium, dans cette quête d’énergie, tient d’abord au terroir : particulièrement, dans les plaines du sud, où la sécheresse frappe goulument, ce sont des moulins à bêtes qui sont mis à l’œuvre, où les bœufs arrimés aux poulies des rouleaux dentelés suivent leur inlassable cycle autour du pivot central. Parfois, c’est l’ardeur éolienne qui est mobilisée, pour convertir à force d’ailes la puissance des vents d’Est. Plus au Nord, dans le relief chahuté des contreforts de la Pelée, ce sont sur les bras vigoureux des rivières de montagne que l’on installe les roues à aubes. Dans l’univers agricole et industrieux de la Martinique, le moulin est planificateur urbain et social, et impose autour de lui les nouvelles exploitations.
Le planificateur urbain
Très rapidement, le territoire s’équipe : dès 1730, plus de trois cents moulins à bœufs battent le rythme de l’île, une centaine fracassent l’eau et plus d’une dizaine avalent le vent. Parmi ses illustres représentants, celui de Val d’Or, élégamment restauré, impressionne par ses dimensions. Les usages le destinent principalement à l’activité sucrière, parfois à l’animation d’autres mécaniques. Pourtant, à mesure de bonds d’ingéniérie, il semble perdre en mérite.
L’entrée de l’île dans la modernité industrielle consacre la fin de ces moteurs des temps anciens. À l’énergie de traction des bœufs, à l’incertitude du vent, aux caprices des niveaux de flots, est substituée la puissance fiable de l’air échauffé. La morsure de la vapeur avale les pistons, entraine une chaine savante, craquante et résolument novatrice : les rolls des broyeurs sont projetés à l’intérieur de l’usine, et valident l’opportunité de la révolution technologique. Dans cette réalité, quel futur pour le moulin ?
Le moulin moderne : rendez-vous au Gros-Morne, en terres d’hydroélectricité
Cette réponse, elle se trouve peut-être au flanc du Morne Vanier, perché dans les renflements du Gros-Morne. Modèle unique de moulin, ingénieux, poétique, celui créé par Monsieur Henry-Marie Calixte, au fond de la Petite Lézarde. Visionnaire, connaisseur, il appuie, dès 1933, toute la petite industrie locale : scierie, moulin à farine, tout s’adapte, sous le labeur précis du maître de l’eau, aux besoins du moment.
Le moulin est remarquable à bien des égards : fabrique en tôle de récupération, une roue hydraulique verticale fournit électricité et puissance de broyage, pour la transformation des racines et fruits environnants, du toloman au manioc et coco. Plusieurs fois réparé, amélioré, démonté et rénové, le moulin traverse le siècle, jusqu’à la disparition de son fondateur, au début des années 1990’,
Dans le courant des années 2010, l’installation est sauvée par son actuel propriétaire, Richard Exurville, qui en offre une visite pédagogique unique, dans une installation désormais dédiée à la production organique et comme à l’époque, de farines traditionnelles… Toujours croqué par les eaux du Nord et la vigueur du bois environnant, le site est pourtant sorti de sa torpeur : la bonne volonté démultiplie les initiatives. Au programme, pour ce moulin 2.0 : un chantier d’insertion, des énergies renouvelables, un point de dégustation fourmillement culturel et redécouverte de la nature… et surtout, une plongée dans un pan d’histoire bien plus animé qu’il n’y parait !
Texte : Corinne Daunar