De pierre lourde, inébranlable, il est une église de Martinique qui ne semble pas prêter le flanc à aucun dérangement : l’église Saint-Etienne du Marin, qui se veut aussi être l’une des plus anciennes de l’île. Plusieurs fois compensée, remodelée, enrichie, elle porte la marque d’une tradition catholique coloniale, dont le bâti devient le reflet des ambitions de la Foi.
Une église, une commune
Comme souvent dans la colonie Martinique, c’est l’église qui fait la paroisse et fonde, d’un même jet, la commune. Dans la grande région du Cul de Sac du Marin, l’une des premières occupée par la colonie française, les limites du canton s’étendent au-delà de la vue, et avalent autour du Marin le territoire de l’actuelle Sainte-Anne, jusqu’aux confins de Rivière Pilote. Là, au milieu du XVIè siècle, les Frères capucins érigent une chapelle fragile, que les anglais, peu gourmands d’une île sous coupe française, ne manqueront pas d’incendier. Un siècle plus loin, l’église Saint-Etienne doit succéder à la chapelle reconstruite, et inscrire la paroisse dans le dur. Sa toute première pierre est tout symboliquement apposée par le compte Ennery, alors gouverneur général des Antilles : pour qui veut dompter l’île, la religion est un précieux adjuvant.
La construction sera portée par le père Jean-Marie de Coutances, qui officie dans la paroisse du Sud pendant près de 20 ans. Il en finance les travaux en 1766, dans cette région encore très pauvre au point qu’il s’appliquera également à assumer la réfection du presbytère de l’église. Au milieu du 19e siècle, elle s’enfle de deux chapelles, alors que la commune poursuit son essor. Désormais plus argentés, les fidèles peuvent même participer à l’effort, et abondent le projet en souscription ou en force de main d’oeuvre.
Un joyeux mélange de styles
Pas plus que ses conseurs, elle n’échappe aux fureurs climatiques. En 1891, elle offrira son campanile à la gourmandise des vents. Et pourtant, elle semble inamovible, figée dans le temps et forgée dans la pierre, amenant sans effort à la commune d’aujourd’hui tout un pan de son histoire d’hier. Sa façade est la première à s’imposer, elle que l’on découvre au détour d’une rue étroite et capricieuse. Elle semble veiller massivement sur le bourg du Marin, forte de ses ordres architecturaux éclectiques et de son esthétique jésuite. Ses colonnes et son fronton façonnent une stature intimidante, qu’adoucit la statue de Saint-Etienne, protecteur des marinois et martyr de la chrétienté. Et puis, comme clin d’oeil à la terre mouvante de la Caraïbe et de la Martinique, le clocher, isolé, détaché et sa structure en bois d’Indes du morne Gommier tout proche, se dresse comme un phare aux côtés du corps sur un piédestal empierré.
D’anecdotes en petits secrets d’église
Au sein, la charpente n’échappe pas à la mode, ou à la pratique, des carènes de bateau renversées : dans cet intérieur retourné, où la mer semble rejoindre la terre, le faîte de l’église surplombe une atmosphère particulière. La pierre de taille, restée nue à l’intérieur, garantit le solennel de la découverte du Maître Autel, magistral ouvrage de marbre, piqué de couleurs et profondément engravé de la Cène. La légende populaire raconte que son faste se destinait à la nef de la majestueuse cathédrale de Lima, alors coeur colonial d’un vaste territoire aurifère espagnol, auquel l’autel de la principale église devait rendre un hommage vibrant. Ce serait finalement au cap du Marin que le pesant mobilier devait finir son voyage d’outre-mer, avant de s’installer au coeur de l’église Saint-Etienne. La raison tend plutôt à l’identifier comme un onéreux don d’un fidèle d’entre les fidèles, François Cornet.
Organisé autour, tout le mobilier intérieur doit venir rappeler cette élégance froide, une richesse sobre et convenue. Le tabernacle, ciselé et monumental, répond aux autels latéraux, réalisés à Lyon dans le même esprit d’épuration et de richesse que le meuble central.