Pour Alex et Daniel les deux frères, garnements à leur temps perdu, de précieux rendez-vous de l’année sont devenus d’incontournables rituels. Là malgré le brouhaha et le chaos ambiant chaque geste est mesuré et le coffre de la voiture gonflé de trésors résiste miraculeusement à l’explosion.
Nous sommes à la veille d’une drôle d’aventure : ils s’apprêtent à retrouver au bivouac familial : cousins, grands-parents et amis pour la grande messe du camping.
Le camping libéré
A l’aube de ces années 1970’, le camping gagne une Martinique encore sauvage, et révolutionne les vacances de nombreuses familles.
A l’époque, le voyage se vit comme un véritable périple. Pas question d’oublier quoi que ce soit, l’aller est définitif. La caravane suisse semi-rigide Bonair (qui fait tant la fierté des deux garçons) est bien arrimée à la vieille auto familiale dans laquelle s’entasse, dans un ordre imperceptible, l’essentiel du confort de la maison qui assurera un été paisible.
Une fois sur place, l’installation fait l’objet d’une rigueur sainte : trouver la meilleure nuance entre ombre et ventilation, déployer les auvents, dresser dans un coin la cabane de tôle, mettre en route les frigos au pétrole et les plaques au gaz, disposer les lampes tempête. Il faut pouvoir s’organiser, et tenir le siège pendant près de deux mois. Les poules sont aussi du voyage, et les pêches fraiches complèteront les festins quotidiens.
Durant ces années, le camping est encore sauvage et essaimé au fil des vents et de la côte Sud : Cap Ferré, Anse Michel, Salines, Pointe Marin, Cap Chevalier… A chaque bivouac son fétiche, ses habitudes et son groupe de fidèles.
Du bivouac sauvage au camping codifié
A partir des années 1980’, les deux compères et frères s’émancipent déjà du giron familial et expérimentent les balbutiements d’un nouveau type de bivouac, qui participe désormais d’une certaine émancipation de la jeunesse. Les camps vibrent alors d’une nouvelle âme, frivole, dansante, autour de la musique naissante, des groupes électrogènes et des grandes bâches de couleur.
L’orée de cette nouvelle décennie compte aussi comme une véritable révolution dans le paysage urbain de l’île, la massification de la voiture, et un rapport aux distances profondément repensé.
Désormais sujettes à l’afflux massif de ces aventuriers d’un jour, les municipalités prennent conscience de l’enjeu et tentent de s’organiser : à Saint-Anne apparaissent les premiers points d’eau et éclairage, sur la côte, le feu et les déchets deviennent peu à peu la bête noire des protecteurs de l’environnement et de l’ONF.
Les mentalités évoluent et, dans le camp des deux frères complices, pas plus que dans ceux de leurs voisins, ce sont les plus jeunes qui sont désormais les plus fervents chasseurs des plastiques abandonnés.
De nos jours
Ce premier emplacement Saintannais a lui aussi suivi le fil du temps et des vacanciers : le camping municipal, posté au creux de sa plage a épousseté ses emplacements et récemment fait peau neuve.
Désormais ce sont de grandes tentes de toile légère et même une cabane en bois ti-baume qui émerveillent les baroudeurs, toujours ravis de s’éveiller au bruit de l’écume.
D’autres modèles novateurs entendent bien surprendre les nouveaux campeurs, et proposent même l’évasion au goût de rêve américain au cœur d’une caravane révolutionnaire et habillée d’alu, une Air Stream vintage.
Le camping moderne est surtout devenu l’occasion de festoyer, autour d’un Matoutou et d’une belle ambiance musicale. Pourquoi ne pas se lancer dans un Vidé enflammé ? Tambours tendus, ti-bois improvisé sur une bouteille en verre, et déjà la masse mouvante des campeurs de tout âge.
C’est aussi un lieu de rencontre, de partage, d’échange, entre ces voisins d’un jour et, d’un camp à l’autre, près de 3 générations réunies dans la bonne humeur, à Pâques, Eté, Toussaint ou Noël.
Et bien des années plus tard, fidèles à leurs habitudes, il n’est pas difficile de retrouver les fratries sur un coin de plage : la tradition reste la même, le chapiteau, le relax et la glacière sont de rigueur.
Sur eux, le temps n’a plus d’emprise, si ce n’est dans l’envie de transmettre ce même amour aux jeunes générations qui chahutent gentiment autour du camp.
Texte & Photos : Corinne Daunar
Remerciements à la Fondation Clément pour son crédit photo L. Hayot.