Sur le terrain de la santé, l’inventaire du patrimoine sanitaire donne du fi l à retordre, tant les habitudes, les besoins de l’époque ou les politiques ont mélangé les codes et brouillé les usages.
Pas un bâtiment médical qui n’ait connu plus d’une vie : du lazaret au foyer, de la caserne à l’hôpital, du dispensaire au centre culturel, plongée dans une Martinique hygiéniste où aucune fin n’est irréversible.
Aux prémices de la santé sous nos latitudes, un territoire de tous les dangers
Evidemment, les premiers temps de colonisation se distinguent par une mortalité débridée et des conditions d’hygiène et de vie souvent déplorables. Les maladies y font florès, portées par des strates de populations sensibles : marins, engagés, femmes de petites vertus. Les populations esclaves ne bénéficient que de soins très limités mais souffrent de nombreuses mutilations. L’inventaire botanique qu’elles opèrent permet d’enrichir une herboristerie locale, inspirée de pratiques amérindiennes et de la découverte graduelle de leur nouvel environnement.
La médecine occidentale moderne, en essor, cohabite alors avec les méthodes traditionnelles et remèdes raziés. Les apothicaires empruntent aux deux influences, et le quimbois se développe aussi, projetant le soin dans le mystique. Les premiers véritables marqueurs d’organisation d’une santé coloniale se retrouvent dans les porteurs institutionnels de la colonisation. Parmi les premiers à opérer localement, les médecins militaires, sur une île bastion, qui : font oeuvre de service public, tandis que quelques dispensaires et hospices pour indigents s’installent dans les campagnes.
La santé rejoint les préoccupations publiques
Un changement de paradigme s’opère peu à peu, du traitement ponctuel à la structuration d’une véritable réponse médico-sociale : il se pose dans le débat au détour de la départementalisation de 1946, dès lors que s’impulse une véritable politique dédiée. L’Etat développe ses infrastructures et organise la région ; le Conseil Général s’investit dans l’accompagnement social de la population et la sensibilisation à la santé du quotidien.
De grands hommes de sciences et de médecine contribuent par ailleurs à former une élite médicale intellectuelle qui militera pour la mise en place de grandes mesures et structures : Clarac aura laissé sa marque à Saint-Pierre, Victor Fouche est l’un des pères du planning familial ou à l’origine de la première école d’infirmières de l’île, Maurice Despinoy a largement contribué à l’essor de la psychiatrie sur l’île…
Des silhouettes bien familières
La Maison Coloniale de Santé de Saint-Pierre, fondée en 1838, est l’une des traces premières de la psychiatrie à la Martinique. Si elle ne résiste pas aux assauts du temps et, surtout, de la Pelée, elle reste un marqueur important de l’essor des infrastructures médicales de l’île. Petite particularité de bons nombres de sites de santé, beaucoup se sont construits à partir d’enjeux ou d’emplacements militaires ! En témoignent de nombreuses emprises, longtemps partagées, parfois échangées. Le lazaret des Trois-Ilets, que l’on connait aussi comme la léproserie (à partir des années 1920) termine la pointe du Bout dans ce qui fut un temps un fortin de protection. Bien plus au Nord, lové dans le vert des Pitons, l’hôpital de Colson s’est installé dans un ancien sanatorium… pour officiers de Marine ! A Fort-de-France c’est l’ancien hôpital Militaire, bâti à partir de 1722, un temps redevenu caserne, qui se transforme finalement en Parc Floral en 1971 puis accueille le SERMAC peu d’années plus loin. Il prête ses pavillons à la création et à l’expression caribéenne dans toutes ses formes. Clin d’oeil à ces destinées mêlées, l’ancien Hôpital Civil, construit à la fin XIXe sur les contreforts de l’Ermitage, s’épanouit aussi dans l’effervescence culturelle, abritant notamment les installations de médias régionaux.
TEXTE : Corinne DAUNAR
Remerciements à Monsieur JEAN RAVOTEUR pour son précieux témoignage
© FONDATION CLÉMENT / Collection Loïs HAYOT ET Corinne DAUNAR