Dans un monde où les cultures se rencontrent, se mêlent et parfois s’uniformisent, de petites îles, fièrement campées au centre de la Caraïbe font mieux que résister, elles s’adaptent et s’enrichissent depuis des temps déjà bien longs !
En Martinique comme en Guadeloupe, on célèbre aujourd’hui encore cette fresque construite en décennies et dont le fil du temps a cousu les renforts d’une nouvelle identité. Aujourd’hui, ces célébrations de la nativité se construisent dans une myriade de petites habitudes, de coutumes inlassablement défendues ou fraichement adoptées, comme autant de pièces de tissus d’une immense tradition.
Les doigts magiques de nos couturières d’antan s’activent chaque année à reconstituer un Noël créole hors du commun : une chute de ci, un ruban de ça, confectionnez à l’envie votre avent Antillais et habillez ce mois de fête de la plus originale des parures. Ce Patchwork moderne de cultures, tissé de toutes les étoffes du monde, c’est celui que nous nous proposons de-vous conter ! Alors à vos ciseaux pour coudre le plus original des Noëls !
Pani Nwel san mangé
Ici, la couturière de l’avent a fort à faire pour démêler les fils foisonnants d’une tradition culinaire bien trempée. Il serait bien inspiré de voir un carré de Madras sur lequel se disposent de délicieux mets, pour tous une bien drôle de Madeleine de Proust. En cuisine, c’est le couteau chien qui virevolte et le faitout mordu par le temps qui mitonne sagement le ragoût de porc et les pois d’Angole. Sur la table, la plus belle parure est de sortie : et les buffets, de ceux qui accompagnent dans l’avent tous les chanteurs d’un moment, ils fourmillent de mille plaisirs en bouche : pâtés salés, jambon de Noël, boudin créole… viennent encore rythmer les rassemblements, réveillon de Noël évidemment compris. Si le cochon familial n’est plus aujourd’hui sacrifié dans le cercle joyeux des amis et des voisins, la préparation de Noël continue de rassembler, souvent même dans un sursaut de défense des pratiques, dans un créole plus vivant que jamais. En Guadeloupe, le gâteau Mont Blanc tient une place de marque dans la flanelle des desserts, tandis qu’en Martinique le chocolat première communion s’invite depuis bien longtemps à la fête.
Ki di mangé di bwé
Et dans ce joyeux festin, dames jeannes, litrons en verre et jolis ensembles de cristal envahissent tout autant les dessins tracés sur la toile, cirée cette fois-ci ! Si le menu traditionnel de Noël fait l’objet d’une rigoureuse préparation, les faveurs du gosier font depuis des pairs de décennies institution : le Punch coco est confectionné par le précis maître des fourneaux, afin de distiller loyalement les saveurs de Noël. Sirop chaud, lait concentré, lait de coco et épices jalousement gardées au secret, à chaque foyer sa saveur inédite. D’ailleurs, hors de question de ne pas non plus tremper les lèvres dans le schrubb, qui exhale depuis le mois de septembre les flaveurs d’une forte écorce d’orange, née sous les alizés, évidemment. Pour le préparer, l’astucieux connaisseur aura pris soin de longtemps sécher l’écorce, puis de l’exposer dans le rhum à la morsure du soleil pour une suite de jours ! En décembre, cet élixir concentré n’aura plus qu’à se fondre dans le sirop pour ravir tous les gosiers.
En Guadeloupe, c’est le très traditionnel sirop de groseille pays qui claquera sous le palais, accompagnant originellement le rhum et pourquoi pas, le champagne ! Et face à ces flots joyeux et antillais, les liqueurs et distillations du monde n’ont pas tardé à se rajouter au patchwork : le champagne fait désormais référence, aux côtés du Vermouth souvent à l’honneur dans ces temps de la Nativité. Et évidemment, qui dit période d’agrume laisse supposer de délicieux jus pressés d’oranges et de mandarines.
Des poumons inspirés sur fond de papier à musique
Sur certains de ces morceaux de tissus apparaissent de bien pittoresques broderies. C’est évidemment celles qui tracent les mots de bien antiques cantiques, voyageant d’âmes en voix, de terrasses en carbets. L’épopée débute dès la fin novembre, où les ribotes s’entament encore avec ferveur. Et dans ces rondes de voisinage, quoi de mieux que ces vers depuis longtemps empruntés aux traditionnels chants de célébrations lyonnais ou auvergnats, largement surpiqués de fieffées ritournelles créoles.
Les chants, exprimés à feu de poumon, sont gravés dans toutes les mémoires : évidemment déclamés dans l’ordre rigoureux de l’histoire de la Nativité, ils prennent corps sous le rythme savant du tambouyé et du ti bwa, bientôt relayé par la foule échauffée. Joseph, le fidèle, répond aux anges de nos campagnes, annonciateurs du divin enfant né. Et tandis que Michaud continue de veiller, le Kyrie Eleison résonne entre les verres de punch et les chamailleries des enfants, jusque loin dans la nuit de veillée. Mazurka, valse créole ou biguine comme habillent les chants autant que. Le créole qui s’échappe du typique livret vert élimé.
La route de crèches : la pièce centrale est religieuse
En tirant le fil, nous voici projetés sur les routes de la Martinique, à la poursuite de ces crèches de Noël si familières, retrouvez les créations inspirées et croquantes des habitants des communes du Nord qui hérissent le bord des chemins, se dressent dans les jardins et invitent à la découverte depuis plus d’une dizaine d’années. Autre clin d’œil à cette nativité créole inédite, ces crèches se font plus antillaises que jamais : Les mages se vêtent de madras, le toit de chaume se pare de feuilles de cocotier, les personnages sont artisanaux et irrésistibles.
D’ailleurs, au cœur de ce canevas religieux, l’une des merveilles tissée de ces festivités caribéennes reste la messe créole. La religion, la célébration de Noël sont parmi les meilleures fresques de l’intense capacité créole à mêler les cultures et se construire une identité originale : dans les années 1960, ils sont plusieurs jeunes prêtres, résolument modernes et fiers de leurs cultures qui tissent dans leurs liturgies les brins d’une pratique religieuse nouvelle et syncrétique, laissant la part belle au tambou bélè longtemps diabolisé et désormais célébré comme outil de louange. Bientôt d’ailleurs arrive la messe des Innocents, qui voit bénie la multitude de joujoux reçus quelques jours plus tôt par la marmaille antillaise.
Un quotidien de bout de ficelles du monde
Et en termes de traditions installées depuis longtemps dans les logis et les petites habitudes de ces temps festifs, il en est qui se sont joliment mêlées aux vents du monde : les foyers se parent désormais également d’atours lumineux ! Cette nouvelle coutume, portée par les Alizées, habille les maisons de multitudes d’ornementations : les palmiers ou le filao eux-mêmes se font sapin rayonnant, tandis que les temps plus anciens se lisent encore dans la blancheur unique du fleuri Noël campé aux entrées des maisons. Ils se dessinent aussi dans ces portemonnaies qui se gonflent de pépins de mandarine pour la bonne fortune et les maisons encore ouvertes aux quatre vents pour commencer l’année dans un foyer purifié.
Parlant jouets et cadeaux, les vêtements ou chaussures qui peuplaient les Noëls de nos aïeux ou autres joujoux en bois et poupées précieuses pour les plus chanceux ont quelque peu disparus. Mais pour qui veut draper ses festivités dans l’étoffe chaleureuse des souvenirs et de la tradition, les idées se multiplient pour des cadeaux originaux et créoles !Rénovez la traditionnelle mandarine et retrouvez-la dans des créations de chocolatiers inspirés. Pour les gourmands, de nombreuses saveurs caribéennes se déploient dans les confitures, liqueurs et savons! Les coquets s’y retrouveront dans les étoffes brodées, les créations originales d’inspiration madras, les bijoux de bambous et autre essence végétale ou aquatique, les instruments des mornes ou couteaux forgés au creux de nos îles. L’originalité du présent n’a d’égal que votre inspiration : les tous petits ne seront pas en reste, et profiteront de jouets artisanaux en bois, dans une ligne totalement Caraïbes : à filao de Noël, cadeaux créoles.
Une étoffe unique et resplendissante : l’esprit de Noël est un Patchwork.
Le Noël antillais n’a cessé d’évoluer, autant que nos îles, et de se conformer, parfois trop largement, aux inspirations du monde ! Et pourtant, il reste ce moment de large partage, où des générations continuent de fidèlement véhiculer ces petits pans de coutume, reconstruisant inlassablement dans le carcan de la mondialisation le sucre d’une nativité créole et douce. Ancré en chaque âme antillaise, exprimé souvent dans l’inconscient des pratiques, parfois exacerbé et porté à bras le corps, le Noël créole se refuse à l’oubli et se réaffirme, d’époque en époque, comme un inébranlable porteur de culture et d’identité. À chacun de faire perdurer cette exception joyeuse, là où le sable remplace la neige et l’allégresse chaleureuse l’austérité de l’hiver mordant.
Texte & Photos : Corinne Daunar