Traditionnellement dans le bâti, ce sont souvent les seuils qui déterminent le rapport du dedans au dehors. L’habitat créole se construit dans la même pensée, mais brouille les frontières, tant l’extérieur est prégnant dans les habitudes de vie, tantôt généreusement ouvert, tantôt jalousement préservé.
Le dedans et l’envers : un double rapport ancien
Lorsque la colonisation reconfigure en profondeur l’occupation des îles et le panorama de leurs plaines et mornes, elle construit aussi l’habitat créole, dans ses influences et ses déploiements. Semble s’y constituer, dans tous ses fondements, une relation ambigüe à l’extérieur. Que ce soit les au coeur des maisons de maître qui bientôt, à travers la mise culture de l’île, parsèment les exploitations ; que ce soit encore les bourgs plus citadins, plus loin, qui se flanquent de petites bâtisses exiguës ; que ce soit surtout la case créole, rurale et profondément populaire, exaltation puissante du patrimoine construit et identitaire martiniquais et guadeloupéen… Toutes ces formes d’aménagement ne communiquent parfois que paradoxalement avec leur environnement, dans un dialogue où les barrières avec l’extérieur se dressent autant qu’elles peuvent s’abattre.
Ouvert aux vents, caché à la vue
La construction en gaulette des cases créoles en trace une interprétation intéressante, marqueur de l’interconnexion du dehors et du dedans. Ici, les longues tiges de bois ti-baume ou de roseaux s’entrelacent dans un véritable faisceau pour former des paravents ingénieux qui dissimulent, rafraichissent et préservent. En complément des baies traditionnelles, ouvertes contre les poteaux de l’ossature, c’est l’ensemble de la structure qui respire, entièrement offerte aux courants, mais protégée de la pluie, du soleil et des indésirables. Dans les demeures de maître, l’inspiration est similaire : les tracas du climat sont conservés au dehors, mais le souci hygiéniste de circulation de l’air est e par l’entremise des persiennes, apparues au 18e siècle. Les petites maisons de ville suivent le code et se flanquent d’une porte à imposte, adossée à des fenêtres à lame ; pour autant la pièce de l’intérieur, souvent la chambre, ne communique que rarement avec l’extérieur. A fortiori, que l’habitat se fasse urbain ou modeste, rural ou exubérant, les ouvertures principales s’adressent très traditionnellement vers le sud-couchant, plus propice à la circulation salubre des Alizés. Sous ces latitudes, les fenêtres évitent de vitres en verres, à la faveur des persiennes articulées ou des jalousies, dont le nom lui-même semble emprunter aux besoins de pudeur. Dans les plus généreuses demeures, la hauteur de la charpente permet de prendre avantage des masses d’air et de leur déplacement, à travers de nouvelles lucarnes. Notamment, ce sont des chiens-assis qui rafraichissent le galetas de la maison et maintiennent une agréable ambiance.
Vers une nouvelle acception du dehors
Les maisons de ville, érigée à revers, s’ouvrent sur elle-même, autour d’élégantes ou très fonctionnelles courettes partagées. Elles ont l’extérieur préservé, l’intimité offerte, évasivement, à la lumière du dehors. À mesure, l’habitat créole s’enrichit de toutes les trouvailles de génie permises aux constructeurs par de nouveaux matériaux du XXe siècle. Des parois ajourées, aux cubes de brique creux, garantissent la fraicheur, mais marquent encore le symbolique périmètre du dedans. Les persiennes
se dotent de lames de verre, et poursuivent leur fonction originelle. Aujourd’hui, c’est dans ce tourbillon d’héritage que se compose la villa créole moderne, qui s’agrémente facilement de contrevent, de grandes fenêtres et de portes-volets. Plus ouverte, elle se tourne désormais complètement vers l’extérieur, où de généreuses toitures préservent les larges baies de la morsure du climat, et offrent de nouveaux espaces à vivre.
Texte : Corinne Daunar – Photos : Fondation Clément L.Hayot